George Sand et Le Parc

Légendes Rustiques

Les pierres sottes ou pierres Caillasses

« Ailleurs, on trouve les durders, à Crevant les Dorderins. C’est un semis de ces énormes galets granitiques au sommet d’un monticule conique. Le plus élevé est un champignon dressé sur de petits supports. Ce pourrait être un jeu de la nature, mais ce ne serait pas une raison pour que cette pierre n’eût pas été consacrée par les sacrifices. D’ailleurs elle s’appelle le grand Dordorin. C’est comme si l’on disait, le grand autel des Druides.

Un peu plus loin, sur le revers d’un ravin inculte et envahi par les eaux, s’élèvent les parelles. Cela signifie-t-il pareilles, jumelles, ou le mot vient-il de patres, comme celui de marses ou martes vient des martres, selon nos antiquaires ?

Ces parelles ou patrelles sont deux masses à peu près identiques de volume et de hauteur, qui se dressent comme deux tours, au bord d’une terrasse naturelle d’un assez vaste développement. Leur base repose sur des assiettes plus petites. J’y ai trouvé une scorie de mâchefer, qui m’a donné beaucoup à penser.

Ce lieu est loin de toute habitation et n’a jamais pu en voir asseoir aucune sur ses aspérités aux fonds inondés.

Qu’est-ce qu’une scorie de forge venait faire sous les herbes, dans ce désert où ne vont pas même nos troupeaux ? Il y avait donc eu là un foyer intense, peut-être une habitude de sacrifices.

J’ai parlé de ce lieu parce qu’il est à peu près inconnu. Nos histoires du Berry n’en font mention que pour le nommer et le ranger hypothétiquement et d’une manière vague parmi les monuments celtiques. Il est cependant d’un grand intérêt aux points de vue minéralogique, historique, pittoresque et botanique. »

Dessins de Maurice Sand

Nanon

« C’était une oasis de granit et de verdure, un labyrinthe où tout était refuge et mystère. Partout de gros blocs arrondis sortant de terre ou montant les uns sur les autres comme des cailloux roulés, de chemins creux tout bossués où de minces charrette passaient avec peine, de plus petits encore où elles ne passaient pas du tout et qui s’enfonçaient dans les sables traversés d’eaux courantes où l’on marchait sans enfoncer. »

« Une végétation superbe sur tout cela. Des châtaigniers énormes sur toutes les collines et, dans les fonds, des buissons épais, des poiriers sauvage couverts de fruits, des chèvrefeuilles tout fleuris ; des houx et des genévriers gros comme des arbres, des racines courantes qui faisaient des ponts sur les sables éboulés, ou qui se traînaient comme des serpents monstrueux. »

Agenda de Sand

3 Mai 1854

(Agenda I, page 194)

Voyage aux pierres de Crevant. Je me lève à 9h30. Duvernet vient déjeuner. Il fait beau. On part à 11h. On est à Crevant à midi et demi. Manceau est orné de ces guêtres et affublé d’un tel attirail d’entomologiste qu’on dirait qu’il part pour la Chine. A Crevant, nous prenons un guide sur le siège. On va en voiture à deux chevaux jusqu’à un domaine appelé le Petit Pommier et on y laisse les chevaux. De là en un petit quart d’heure on est aux Parelles (1) d’où l’on a en face l’Orderins (2).

Tout ce ravin est semé de blocs de granite, arrondis, d’un ton bleuâtre avec de larges tâches de lichens blancs, verdâtres, rehaussés de broderies noires. L’endroit est ravissant, des ruisseaux qui parlent dans les roches, des châtaigniers très fantastiques, des houx, des fleurs ravissantes, une, entr’autres, que Duvernet a trouvé autrefois au Magnier. C’est la mélithe à odeur de mélisse (3).

En somme la journée a été superbe, sauf l’orage et une longue pluie au retour. Mais la promenade a été ravissante. Maurice et Manceau ont trouvé l’endroit superbe et veulent que nous y retournions bientôt. Je ne demande pas mieux, c’est très sauvage. J’y ai trouvé l’homme à la bâche et pas un chat de reste. Les blocs ont assez l’air d’avoir été honorés par les druides. Nous sommes rentrés à six heures, ayant bien faim. Nini a été à la Châtre en cabriolet avec sa bonne et Jean, pour voir son petit ami.